Annulation de la déclaration d’utilité publique d’une opération de réaménagement d’une zone d’activités commerciales au motif d’un bilan coût‑avantage négatif

A l’appui d’un recours contre une déclaration d’utilité publique devant le juge administratif, il est possible de contester tant la régularité de la procédure que la notion d’utilité publique elle‑même, en se fondant notamment sur une critique détaillée et circonstanciée du dossier soumis à l’enquête publique.

En effet, le juge administratif opère un contrôle très poussé de l’utilité publique de l’opération d’expropriation, qualifié de « théorie du bilan » (inauguré par l’arrêt de principe du Conseil d’Etat Ville Nouvelle Est du 28 mai 1971, req n° 78825).

Cette analyse du bilan coût‑avantage de l’opération d’expropriation comporte trois niveaux : vérifier que l’opération présente un but d’intérêt général, s’assurer que le recours à l’expropriation est nécessaire pour réaliser l’opération, et enfin, que les avantages de l’opération l’emportent sur ses inconvénients, en tenant compte de l’ensemble des intérêts publics et privés en jeu.

L’arrêt du Conseil d’Etat du 11 décembre 2019 (CE, 11 décembre 2019, req n°419760) donne un exemple édifiant d’un bilan « coût‑avantage » négatif qui conduit à l’annulation de la déclaration d’utilité publique par la haute juridiction.

Précisément, une propriétaire expropriée de sa maison d’habitation avait contesté l’arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique des travaux de réaménagement autour d’une zone d’activités commerciales (opération baptisée sous le vocable fourre‑tout d’« opération de requalification »), avec création d’une nouvelle voie d’accès, de ronds‑points, d’un parking, de chemins piétons et d’aménagements paysagers.

Ni le tribunal administratif, ni la cour administrative d’appel ne lui avait donné raison de sorte que cette propriétaire a dû saisir le Conseil d’Etat pour obtenir gain de cause. avocat specialiste

Reprenant l’analyse complète des avantages et inconvénients de l’opération, le Conseil d’Etat considère que le bilan est largement négatif et procède à l’annulation de la déclaration d’utilité publique : avocat

► En jugeant que l’atteinte aux droits de propriété de la personne qui habite l’un des bâtiments concernés par l’expropriation envisagée, ainsi que le coût de l’opération n’étaient pas excessifs eu égard à l’intérêt que celle‑ci présente, la cour a commis une erreur de qualification juridique

« Par un arrêté du 21 janvier 2015, le préfet ... a déclaré d’utilité publique les travaux d’aménagement de la rue de B…, à V….

Mme A..., propriétaire du terrain de 7066 m² constituant le périmètre de la déclaration, comprenant sa maison d’habitation ainsi qu’un bâtiment destiné à une activité de commerce, en a demandé l’annulation pour excès de pouvoir…

Il appartient au juge, lorsqu’il doit se prononcer sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu’elle répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’était pas en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente.

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’opération projetée, qui s’inscrit dans le cadre du projet de restructuration de l’entrée Sud de l’agglomération …, consiste à réaliser, … sur la surface de l’actuelle rue de Bruxelles et des parcelles expropriées, une nouvelle voie d’accès à la zone d’activités commerciales dite "Plein Sud", deux giratoires, ainsi qu’un espace de stationnement de quatre‑vingt‑dix places, des cheminements piétons et des aménagements paysagers. avocat

Cette opération, dite de "requalification du paysage urbain", est justifiée par l’objectif de renforcer l’attractivité du secteur ouest de la zone d’activités commerciales dite "Plein Sud" par l’amélioration de l’accès à ce secteur et de sa visibilité.

Or, si une telle opération peut être regardée comme répondant à une finalité d’intérêt général et ne peut être réalisée sans procéder aux expropriations litigieuses, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport du commissaire enquêteur, que son apport à l’amélioration de l’accessibilité à ce secteur de la zone commerciale est limité et que la justification de l’expropriation prévue réside essentiellement dans l’objectif d’une amélioration de la visibilité de ce secteur, quand bien des places de stationnement supplémentaires seraient réalisées.

Dans ces conditions, en jugeant que l’atteinte aux droits de propriété de Mme A..., qui habite l’un des deux bâtiments concernés par l’expropriation envisagée, ainsi que le coût de l’opération, évalué à près de 1,2 millions d’euros, n’étaient pas excessifs eu égard à l’intérêt que celle‑ci présente, la cour a commis une erreur de qualification juridique. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé.

Il résulte de ce qui a été dit ci‑dessus que l’opération en cause ne présente pas un caractère d’utilité publique. Par suite, … il y a lieu d’annuler le jugement du tribunal administratif … et l’arrêté attaqué. »

En allant jusqu’au bout des procédures contentieuses, la propriétaire expropriée a donc pu faire échec à l’opération d’expropriation.