Annulation de la déclaration d’utilité publique d’un projet de prolongement de route départementale susceptible de provoquer une atteinte au paysage et représentant un coût excessif dépassant les avantages escomptés
La déclaration d’utilité publique d’un projet d’expropriation est susceptible de recours devant le juge administratif. Lorsque le requérant conteste l’utilité publique de l’opération, la juridiction procède à un contrôle approfondi en trois étapes :
- le projet doit poursuivre un but d’intérêt général, DUP
- le recours à l’expropriation doit être nécessaire pour réaliser l’opération,
- les avantages de l’opération doivent l’emporter sur ses inconvénients, en tenant compte de l’ensemble des intérêts publics et privés en jeu.
Si l’exproprié identifie, détaille et justifie précisément les inconvénients de l’opération qu'il conteste (atteinte à la propriété, impact environnemental, coût élevé, éléments techniquement irréalistes, programmation lointaine…), le contrôle du juge en sera d’autant plus approfondi et pourra conduire à l’annulation de la déclaration d’utilité publique. avocat
Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 8 juillet 2019 req n° 17MA01463) donne un bon exemple de ce contrôle, et, notamment, du bilan coût avantage négatif d’un projet de prolongement sur 2 kilomètres d’une route départementale pour rejoindre une agglomération de 50.000 habitants.
Le tribunal administratif ayant rejeté leurs recours contre l’arrêté préfectoral déclarant ce projet d’utilité publique, plusieurs associations de défense de l’environnement et riverains ont saisi en appel la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 8 juillet 2019 req n° 17MA01463).
Après avoir constaté que le projet poursuivait effectivement un but d’intérêt général (étape 1) et implicitement que ce projet de route ne pouvait être réalisé que par voie d’expropriation (étape 2), la cour administrative d’appel retient que le coût du projet est très élevé, qu’il risque, à plusieurs endroits de son tracé, de bouleverser un paysage vallonné exceptionnel, spécialement par des viaducs imposants, et que ces inconvénients dépassent largement les avantages de l’opération (étape 3).
De ce bilan coût - avantage négatif, la juridiction administrative déduit que la déclaration d’utilité publique est entachée d’illégalité et qu’il y a lieu de l’annuler :
► Le coût financier et les atteintes au paysage que comporte l'opération litigieuse sont excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente
« S'agissant du moyen tiré du défaut d'utilité publique du projet :
7. Il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
8. Il ressort des pièces du dossier que le projet vise à créer un boulevard urbain dans le prolongement de la RD 6185 existante pour désengorger le secteur des Quatre chemins et les quartiers de Saint‑Antoine, Saint‑Jacques, Loubonnières et Villote, qui supportent un important trafic à destination des axes structurants de la ville (RD 6185, la RD 9 et la RD 2562). L'opération envisagée, qui tend à capter le trafic en provenance du Tignet, de Peymeinade et des quartiers ouest de Grasse à destination de l'est et du sud de la commune, d'améliorer le transit entre l'extérieur de la ville et le centre de Grasse en libérant de la capacité sur le secteur des Quatre chemins et ses voies attenantes, de faciliter les échanges inter‑quartiers, de renforcer la desserte locale et d'améliorer la sécurité sur le secteur en délestant les voies transversales fortement empruntées, répond à un objectif d'intérêt général.
9. Cependant, en premier lieu, le coût des aménagements et travaux prévus pour ces 1 920 mètres de voie, de 68 millions d'euros, soit 34 millions d'euros par kilomètre, demeure très important, et ce même si ce coût élevé trouve son origine notamment dans la création des ouvrages d'art, principalement deux viaducs pour 18,6 millions d'euros, trois ponts routiers, 5500 m² de murs de soutènement et 2100 mètres de murs acoustiques.
10. En second lieu, l'autorité environnementale saisie a estimé que ce projet à caractère urbain s'insérait " dans l'un des plus beaux balcons de la Côte d'Azur " et que l'analyse des impacts, succincte, ne mettait pas en avant les modifications importantes du secteur en terme de grand paysage entraînées par l'implantation d'ouvrages exceptionnels. La zone d'étude, située sur le versant Sud de la commune, est en effet fortement exposée dans le grand paysage. Elle est visible de loin et compose notamment l'horizon de la Plaine de la Siagne au Nord. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de l'étude d'impact, que la séquence partant du chemin des Loubonnières à la RD 2562, qualifiée de paysage d'exception selon cette même étude, est caractérisée par deux vallons très largement boisés (chênes, aulnes...), des chemins étroits et bordés de vieux murs en pierre, rendant l'endroit agréable et pittoresque. La forte visibilité du projet, en raison de la pente, des ouvrages associés à la voie (talus, murets, protections acoustiques) et surtout de l'implantation de deux viaducs d'une longueur de 150 m pour le premier, au sein du vallon des Loubonnières, et 210 m pour le second dans le vallon de Château Folie, avec une hauteur respective d'environ 20 m et 27 m conduira, dans cet espace sensible du point de vue du paysage rapproché mais également lointain, à un changement profond dans la perception du site, et ce même si des études ultérieures doivent affiner et préciser les caractéristiques des viaducs. Les mesures visant à atténuer les effets paysagers du projet en ce qui concerne la séquence des vallons, décrites dans l'étude d'impact et qui consistent à assurer la continuité paysagère par une plantation arborée dense des terrassements avec plantation de pins et de chênes sur les talus lorsque leur configuration le permettra, ainsi que le long des emprises de la future piste cyclable, ne pourront atteindre leurs objectifs que dans la partie basse des viaducs.
11. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 9 et 10 que le coût financier et les atteintes au paysage que comporte l'opération litigieuse sont excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente, tel que décrit au point 8. » avocat expropriation
L'annulation de la déclaration d’utilité publique fait donc échec à la procédure d’expropriation. Gilles CAILLET avocat