La cour des comptes publie un rapport alarmant sur les erreurs de gestion de la Société du Grand Paris
Créée par la loi n°2010‑597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, la Société du Grand Paris est chargée de réaliser le nouveau projet de réseau de transport de voyageurs en Ile‑de‑France dénommé « Grand Paris Express » qui correspond à la création de quatre nouvelles lignes de métro automatique (15, 16, 17 et 18) et au prolongement au Nord et au Sud de l’actuelle ligne 14 (ces nouvelles lignes étant interconnectées avec le réseau actuel du métro et du RER).
A la suite d’une enquête approfondie de près d’un an, la cour des comptes porte une appréciation particulièrement sévère sur la gestion actuelle de la Société du Grand Paris (SGP), dans son rapport publié le 17 janvier 2018.
Le rapport intégral est consultable ici ...
En voici quelques extraits édifiants :
- « Des coûts prévisionnels qui n’ont cessé de dériver : … Les évaluations initiales étaient fragiles comme le montre le fait que la SGP n’a pas pu en fournir les bases de calcul à la Cour, et les provisions pour aléas et imprévus qu’elles intégraient étaient très inférieures à ce qui est recommandé pour des travaux de cette nature. » (rapport p 9 et 33 à 56).
« Des coûts d’acquisitions foncières supérieurs aux prévisions » :
« Pour la construction du réseau, la SGP a besoin de procéder à des acquisitions foncières : terrains pour la construction des gares mais aussi pour les sites de maintenance, les ouvrages annexes (situés tous les 800 mètres) et les viaducs (40 km) ; tréfonds pour les tunnels (160 km). »…
► Le coût du foncier est très vraisemblablement sous‑estimé
« Selon le tableau de bord présenté au conseil de surveillance de la SGP le 6 mars 2017, l’estimation à terminaison serait 1 431 M€. Il en résulte que le coût du foncier devrait donc excéder d’environ 10 % l’estimation initiale. Si cet écart peut paraître faible, il cache de fortes variations des estimations par ligne et est très vraisemblablement sous‑estimé. » (rapport p 40 et 41).
- « Une trajectoire financière non maîtrisée » : « le plus inquiétant reste la forte sensibilité du modèle financier aux différents paramètres, qui conduit à s’interroger sur la capacité de la SGP à amortir sa dette. » (rapport p 11 et 57 à 82).
- « Une gouvernance de l’établissement à réformer » : « l’insuffisant contrôle du directoire par le conseil de surveillance et par les tutelles s’est traduit par un manque de transparence sur la réalité de la maîtrise des coûts et des délais. » (rapport p 12 et 83 à 105).
« La loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris n’a donné au conseil de surveillance aucune compétence en matière de marchés, alors même que certains d’entre eux représentent des engagements financiers de l’établissement de plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros pour les principaux marchés de génie civil. Ainsi, le conseil de surveillance ne dispose pas de pouvoir de validation systématique des principaux actes d’exécution, ce qui semble anormal pour un projet engageant aussi massivement les deniers publics. » (rapport p 87).
- « Un mode de conduite du projet générateur de risques » : le« déséquilibre inquiétant entre la maîtrise d’ouvrage et l’assistance à maîtrise d’ouvrage, suscite des interrogations quant à la capacité de la SGP à contrôler l’ensemble de ses prestataires. » (rapport p 12 et 105 à 109).
- « une rigueur insuffisante dans la conduite des marchés » (rapport p 13 et 109 à 116).
« les procédures d’achat sont inégalement respectées et le suivi de l’exécution des marchés insuffisamment rigoureux. En particulier, faute de définir avec précision ses besoins, la SGP multiplie les recours aux bons de commande et aux avenants, pratique qui l’expose à de réels risques juridiques. » (rapport p 13).
« Des règles de procédures parfois contournées : Ponctuellement, la Cour a identifié des marchés pour lesquels les procédures et les grands principes de mise en concurrence n’avaient pas été respectés, soit attribuant un marché à une entreprise dont l’offre aurait dû être rejetée pour irrecevabilité, soit en modifiant en cours de procédure les modalités de calcul des offres financières ce qui a eu pour effet de modifier l’ordre de sélection des candidats. » (rapport p 111).
« deux marchés ont fait l’objet d’une suspicion de pratique anticoncurrentielle par la SGP et ont fait l’objet d’un signalement à l’Autorité de la concurrence. Malgré ces signalements, la SGP a tout de même attribué aux entreprises qu’elle suspectait de pratiques anticoncurrentielles une partie des lots des marchés en cause (rapport p 112) ».
« L’ensemble de ces éléments impose de réviser le périmètre du projet et de revoir fortement le phasage de sa réalisation. » (rapport p 13).
- « Le fonds de dotation du Grand Paris Express et le risque de réputation pour l’État et la SGP » (rapport p 117).
« La SGP a créé en avril 2016 un fonds de dotation à but non lucratif afin de recueillir des fonds privés pour financer son projet culturel et artistique…. Les modalités de financement de ce fonds sont discutables et prêtent à confusion...
Cibler les entreprises qui participent à la construction du métro du Grand Paris fait prendre à la SGP le risque de laisser croire que le soutien apporté au fonds par ces entreprises constituerait une contrepartie, sinon une des conditions nécessaires à l’obtention d’un de ses marchés. » (rapport p 117).
… « La très forte identification du fonds au projet de Grand Paris Express et à la SGP, alors que cette dernière mène une campagne d’appels d’offres pour des montants cumulés de commande publique de plusieurs dizaines de milliards d’euros, et la recherche de mécènes parmi les entreprises retenues ou candidates à ces mêmes appels d’offres, peut nourrir un sentiment de suspicion quant à la régularité de ces procédures.
La réputation de la SGP et, au‑delà, celle de l’État, pourraient être mises à mal, tant par l’image que projette un tel montage, que par les procédures contentieuses qu’un candidat évincé des appels d’offres de la SGP, pourrait engager. » (rapport p 118).
En conclusion, la cour des comptes « formule six recommandations visant à maîtriser le coût et la soutenabilité du modèle financier du projet, à renforcer les capacités de maîtrise d’ouvrage de la SGP et à améliorer sa gouvernance alors que débute la phase de réalisation du Grand Paris Express. » (rapport p 13, 15 et 121 à 122).
Après un tel constat critique de la Société du Grand Paris, il est indispensable que le gouvernement et le parlement corrigent d’urgence les dérives dénoncées et évitent notamment qu’elles ne pénalisent directement ou indirectement les propriétaires et occupants visés par les expropriations du Grand Paris Express.