EXPROPRIATIONS DU GRAND PARIS EXPRESS : L’attribution de compétence au Juge de l’expropriation de Paris ne vaut que pour la fixation des indemnités d’expropriation et pas pour prononcer le transfert de propriété
En principe, les affaires d’expropriation relèvent de la compétence territoriale du Juge de l’expropriation du lieu de situation de l’immeuble exproprié (articles R 211‑1, R 221‑1 et 311‑9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique).
Par dérogation à ce principe, le décret n°2016‑814 du 17 juin 2016 a décidé de regrouper à Paris, donc devant le Juge de l’expropriation de Paris, le contentieux de l’expropriation lié à la réalisation du réseau de transport du Grand Paris Express (cf notre précédent article en cliquant ici).
Cette modification inédite de la compétence territoriale des Juges de l’expropriation d’Ile‑de‑France semble avoir suscité des contestations sur son champ d’application, et le fait qu’elle ne concernait que la fixation des indemnités d’expropriation et pas le prononcé du transfert de propriété de l’immeuble exproprié par ordonnance d’expropriation.
C’est ainsi que, dans un arrêt du 15 avril 2021 (pourvoi n°20‑13911), la cour de cassation s’est prononcée sur le pourvoi en cassation de propriétaires expropriés contre une ordonnance signée par le Juge de l’expropriation du Val‑de‑Marne (près le tribunal judiciaire de Créteil) portant transfert de propriété d’un immeuble situé à Alfortville (dans le Val de Marne) au profit de la Société du Grand Paris.
Citant intégralement l’article 1er du décret du 17 juin 2016, la cour de cassation en déduit qu’il a uniquement pour objet de transférer le contentieux lié à l’indemnisation des expropriés au Juge de l’expropriation de Paris, et pas les autres compétences du juge de l’expropriation (Cour de cassation, 15 avril 2021 pourvoi n°20‑13911) :
« L'article 1er du décret n° 2016‑814 du 17 juin 2016, dans sa rédaction issue du décret n° 2019‑966 du 18 septembre 2019, « relatif au regroupement du contentieux de l'expropriation pour cause d'utilité publique lié à la réalisation du réseau de transport du Grand Paris », dispose que, par dérogation aux articles R. 211‑1, R. 221‑1 et R. 311‑9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, la juridiction de l'expropriation près le tribunal judiciaire de Paris est compétente pour connaître des procédures liées à la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris tel que défini dans le schéma d'ensemble du réseau de transport public du Grand Paris, approuvé par le décret n° 2011‑1011 du 24 août 2011, et relatives :
1° A la fixation des indemnités réparant le préjudice causé par l'expropriation, en application de l'article L. 321‑1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
2° Au droit de délaissement mentionné au chapitre Ier du titre IV du livre II du même code ;
3° A l'emprise totale d'un bien partiellement exproprié dont les modalités sont définies au chapitre II du titre IV du livre II de ce code ;
4° A la fixation des indemnités réparant le préjudice causé par l'établissement de servitudes en tréfonds, en application de l'article L. 2113‑3 du code des transports ;
5° Aux difficultés d'exécution de ces jugements.
Cette juridiction est également compétente lorsque ces procédures sont liées à la réalisation des infrastructures de transport dont la maîtrise d'ouvrage est confiée à la Société du Grand Paris, en application de l'article 20‑2 de la loi du 3 juin 2010 susvisée.
Il s'ensuit que ce texte a pour objet d'attribuer l'ensemble du contentieux lié à l'indemnisation des expropriés au tribunal judiciaire de Paris.
► La compétence du juge de l'expropriation de Paris est limitée à la fixation des indemnités réparant les préjudices causés par la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris Express et ne s'étend pas au prononcé du transfert de propriété
Selon l'article L. 321‑1, inséré dans le Chapitre 1er « principe de réparation » du Titre II « fixation et paiement des indemnités » du Livre III « indemnisation », les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
Il résulte de ces textes que la compétence du juge de l'expropriation de Paris est limitée à la fixation des indemnités réparant les préjudices causés par la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris et ne s'étend pas au prononcé de l'expropriation et au transfert de propriété prévus aux articles L. 211‑1 à L. 251‑2 du livre II et aux articles R. 211‑1 à R. 242‑1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Le juge de l'expropriation du département du Val‑de‑Marne était dès lors compétent pour ordonner le transfert de propriété, au profit de la SGP, de la parcelle appartenant à Monsieur X et située sur le territoire de la commune d’Alfortville, dans le ressort de cette juridiction.
Le moyen n’est donc pas fondé ».
Ainsi, selon la cour de cassation, la compétence pour prononcer le transfert de propriété du ou des immeubles expropriés n’a pas été transférée au Juge de l’expropriation de Paris et le Juge de l’expropriation de l’Essonne était bien compétent pour prononcer le transfert de propriété de la parcelle située à Alfortville au profit de la Société du Grand Paris.
En résumé, l’opération d’expropriation du Grand Paris Express relève de la compétence exclusive du Juge de l’expropriation de Paris pour la fixation des indemnités d’expropriation dues aux expropriés, et de la compétence normale du Juge de l’expropriation du Département de situation pour prononcer le transfert de propriété au profit de la Société du Grand Paris de l’immeuble exproprié, c’est‑à‑dire :
- de la compétence du Juge de l’expropriation de l’Essonne (près le tribunal judiciaire d’Evry) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés en Essonne,
- de la compétence du Juge de l’expropriation de la Seine‑Saint‑Denis (près le tribunal judiciaire de Bobigny) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés Seine‑Saint‑Denis,
- de la compétence du Juge de l’expropriation des Hauts‑de‑Seine (près le tribunal judiciaire de Nanterre) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés dans les Hauts‑de‑Seine,
- de la compétence du Juge de l’expropriation du Val‑de‑Marne (près le tribunal judiciaire de Créteil) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés dans le Val‑de‑Marne,
- de la compétence du Juge de l’expropriation des Yvelines (près le tribunal judiciaire de Versailles) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés dans les Yvelines,
- de la compétence du Juge de l’expropriation du Val d’Oise (près le tribunal judiciaire de Pontoise) si pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés dans le Val d’Oise,
- de la compétence du Juge de l’expropriation de Seine‑et‑Marne (près le tribunal judiciaire de Melun) pour prononcer le transfert de propriété des immeubles expropriés situés en Seine‑et‑Marne,
Rappelons qu’à ce jour le tracé du Grand Paris Express ne concerne pas le territoire de la Ville de Paris et que le Juge de l’expropriation de Paris ne sera donc jamais sollicité pour prononcer de transfert de propriété pour ce projet.