En l’absence d’information par l’expropriant à l’exproprié qu’il doit se faire représenter par un avocat, la procédure en fixation des indemnités d’expropriation est annulée

A défaut d’accord amiable, les indemnités d’expropriation dues aux personnes expropriées sont fixées par le juge de l’expropriation.

Pour cette procédure en fixation d’indemnités d’expropriation, les propriétaires et occupants expropriés (particuliers, entreprises, commerçants, syndicats de copropriétaires) doivent obligatoirement être représentés par un avocat : devant le juge de l’expropriation « les parties sont tenues de constituer avocat » (article R 311‑9 du code de l’expropriation).

Cette représentation obligatoire induit que le juge de l’expropriation ne peut pas tenir compte des demandes des expropriés qui se défendent sans avocat, c’est‑à‑dire qu’il statue sur les seuls éléments fournis par l’expropriant (voir par exemple, Juge de l’expropriation de Bobigny, 5 mars 2024, RG n° 23/00135), ce qui peut être grave pour l’exproprié.

Les personnes expropriées ne sont pas toujours au courant des règles spécifiques à cette procédure en justice, et c’est pourquoi tout expropriant doit recopier intégralement l’article R 311‑9 précité dans sa notification d’offres aux expropriés (article R 311‑5 du code de l’expropriation).

Un récent arrêt de cour d’appel de Poitiers a judicieusement rappelé que l’expropriant doit informer l’exproprié qu’il doit se faire représenter par un avocat devant le juge de l’expropriation et, qu’à défaut d’une telle information loyale, toute la procédure en fixation d’indemnités d’expropriation doit être annulée (cour d’appel de Poitiers, 7 mai 2024, RG n°23/00001).

En 2022, l’Etat français avait saisi le juge de l’expropriation pour faire fixer les indemnités d’expropriation dues au propriétaire de six parcelles expropriées sur le littoral atlantique (biens exposés à un risque naturel majeur suite à la tempête Xynthia), par une lettre à laquelle était annexée son mémoire contenant ses offres d’indemnités d’expropriation. A la suite de la visite des lieux et de l’audience, le juge de l’expropriation a fixé les indemnités d’expropriation au même montant que les offres de l’expropriant.

Sur appel du propriétaire exproprié, la cour d’appel a annulé le jugement pour vice de forme, en considérant que les droits de la défense n’avaient pas été respectés, faute d’une information claire par l’expropriant sur les modalités de comparution devant le juge de l’expropriation :

« L'article 56 du code de procédure civile prévoit que l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes de commissaire de justice et celles énoncées à l'article 54, l'indication des modalités de comparution devant la juridiction.

L'article 665‑1 du code de procédure civile édicte que lorsqu'elle est effectuée à la diligence du greffe, la notification au défendeur d'un acte introductif d'instance comprend, de manière très apparente, l'indication que faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire et, le cas échéant, la date de l'audience à laquelle le défendeur est convoqué ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se faire assister ou représenter.

Ces dispositions sont applicables en matière de contentieux de l'expropriation, où l'acte introductif qui saisit la juridiction de l'expropriation est la requête de l'expropriante accompagnée du mémoire contenant son offre d'indemnisation, et où c'est le greffe de la juridiction qui convoque les parties à l'audience.

❞ L'expropriant à l'obligation d'informer l'exproprié des modalités de comparution devant le juge de l'expropriation et que la représentation par avocat est obligatoire

Ni la requête de l'État avec mémoire introductif d'instance … reçus au greffe du juge de l'expropriation…, ni l'ordonnance du juge d'expropriation … fixant le transport et la date de l'audience, qui contenait calendrier de procédure et convocation, ni l'acte de notification de cette ordonnance par le représentant de l'État fait par lettre recommandée avec demande d'avis de réception …, ne contiennent l'indication donnée à l'exproprié des modalités de comparution devant la juridiction de l'expropriation, où la représentation par avocat est obligatoire, non plus que de ce que faute pour lui de comparaître, il s'exposait à ce qu'un jugement fût rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.

L'État, qui objecte que nul n'est censé ignorer la loi, n'a précisément pas respecté l'obligation mise à sa charge par la loi en sa qualité d'expropriant d'aviser l'exproprié de ces informations.

Il est inopérant, de sa part, de faire valoir que si [le propriétaire exproprié] s'était présenté au transport sur les lieux dont il avait été avisé, l'information qu'il devait se faire représenter par un avocat aurait pu lui être délivrée, alors que la loi prescrit, pour assurer l'effectivité, que l'information doit être donnée au stade de l'acte introductif d'instance et de sa notification...

L'absence des mentions requises constitue un vice de forme.

Selon l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle d'ordre public.

Il résulte de l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'accès effectif au juge suppose une information claire sur les conséquences de l'absence de comparution des parties à l'audience (cf Cass. 2° Civ. 11.07.2013 P n°12‑22264).

Le grief causé au [propriétaire exproprié] par l'absence d'indication des modalités de comparution devant la juridiction de l'expropriation et par l'absence d'indication que faute pour lui de comparaître, il s'exposait à ce qu'un jugement fût rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire, réside dans ce qu'il n'a pas été informé de la façon dont il lui fallait procéder pour fournir ses éléments à la juridiction de l'expropriation, dont la décision entérine l'offre de l'État que celui‑ci demande lui‑même en cause d'appel de ne pas entériner ; qu'il n'a pas comparu ; et qu'il n'a pu présenter ses moyens de défense.

Il y a lieu en conséquence d'annuler l'acte introductif d'instance … » et le jugement du juge de l’expropriation « non valablement saisie, sans que l'effet dévolutif de l'appel n'opère. »

Le jugement en fixation d’indemnités d’expropriation étant annulé, l’expropriant ne pourra pas prendre possession de l’immeuble exproprié et devra recommencer à zéro la procédure devant le juge de l’expropriation en donnant au propriétaire exproprié une information complète sur les modalités de défense.